Lecture analytique du chapitre 6 de Candide, Voltaire, 1759

candide

Au chapitre 6 de Candide, Voltaire s’attache à l’Inquisition, tribunal ecclésiastique créé au XIIIème siècle pour lutter contre l’hérésie1.
Après le tremblement de terre de Lisbonne, Pangloss et Candide sont arrêtés et condamnés par l’Inquisition.
C’est par une mise en scène haute en couleur que le philosophe des Lumières dresse un portrait critique de pratiques moyenâgeuses au travers desquelles on peut voir une dénonciation de l’obscurantisme2 religieux et du dogmatisme3.
On peut se demander quelle stratégie argumentative Voltaire met au service de la dénonciation dans cet extrait d’apologue4.

1 Hérésie : idée, opinion, pratique qui heurte le dogme de l’Église catholique
2 Obscurantisme : opinion, doctrine ennemie des « lumières », de ceux qui s’opposent à la diffusion des connaissances et de l’instruction.
3 Dogmatisme : courant de pensée dont la forme extrême se rapproche de l’intégrisme, de l’intolérance, du fanatisme, du sectarisme et du totalitarisme.
4 Apologue : Récit court exposé sous une forme allégorique qui propose un enseignement.

Autres problématiques envisageables :

Comment l’argumentation apparaît-elle dans le texte et quels sont ses objectifs ?
En quoi cet extrait dénonce-t-il la superstition et la religion ?
En quoi cet extrait est-il au service de la dénonciation de la religion ?
En quoi l’ironie du conte est-elle au service de la dénonciation ?
Comment l’auteur utilise-t-il le conte philosophique pour lutter contre l’obscurantisme ?

I. Une mise en scène carnavalesque

A. Un spectacle édifiant

Dans le chapitre six, Voltaire met en scène un autodafé, autrement dit, une mise à mort par le feu comme c’était la coutume aux grandes heures de l’Inquisition. Voltaire utilise ici la parodie. En effet, la cérémonie ressemble plus à un spectacle carnavalesque qu’à une exécution. Cependant, pour tourner en ridicule les pratiques de l’Inquisition (et par elle certains comportements extrêmes de l’Église), le philosophe insiste sur le spectacle édifiant et grandiose.

Ainsi l’accent est-il mis sur l’aspect divertissant de la cérémonie. Voltaire se moque des ambitions de l’Inquisition qui était d’édifier les populations, autrement dit, influencer moralement par l’exemple. Ainsi, on remarque le champ lexical de la musique qui met l’accent sur l’aspect festif de l’autodafé : « fessé en cadence, pendant qu’on chantait », « une belle musique en faux-bourdon ». En outre, le fait qu’à l’exécution soit associée l’image de Candide « fessé en cadence » accentue l’aspect burlesque : le sujet sérieux est traité de façon prosaïque.

De plus, la cérémonie est très vite expédiée : le rythme est rapide. En témoigne la construction des phrases : Voltaire n’utilise qu’une longue phrase, en ayant recours au point-virgule, pour évoquer la condamnation des cinq victimes de cet autodafé, l’emprisonnement et la préparation pour le jour de la sentence. La cérémonie en elle-même n’occupe, par contre, qu’une très courte partie de l’extrait étudié. En effet, seules quelques actions très caricaturales sont évoquées au moyen de cinq verbes. La cérémonie est réduite à son aspect le plus superficiel : « ils marchèrent », « [ils] entendirent un sermon », « Candide fut fessé », le Biscayen et les deux hommes (…) furent brûlés, et Pangloss fut pendu ».

B. Des condamnés apprêtés

La Volonté de Voltaire est bien de mettre en évidence l’aspect grotesque de cette cérémonie. L’utilisation de la périphrase pour désigner le cachot dans lequel sont enfermés les condamnés participe de cette représentation parodique de l’autodafé puisque la description qui en est faite évoque plus les coulisses de la scène que la prison : « des appartements d’une extrême fraîcheur dans lesquels on n’était jamais incommodé du soleil ».

Dans cette description, on peut certainement également entendre le point de vue du philosophe Pangloss qui n’a de cesse de trouver que « tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes », même confronté aux pires catastrophes.

Enfin, la mise en scène carnavalesque est visible dans la façon dont les condamnés sont apprêtés pour leur condamnation. Ils sont revêtus de costumes. Le « san-benito » est le vêtement traditionnel que l’on faisait porter aux condamnés de l’Inquisition. En cela, on peut dire que la représentation faite par Voltaire, si elle est burlesque, n’en est pas moins inspirée d’éléments très précis et réalistes.

Cependant, l’auteur ajoute une touche comique à la scène en décrivant assez précisément les « flammes » et les « diables » dessinés sur les vêtements. Les dessins semblent traduire une hiérarchie dans la gravité des faits reprochés aux condamnés. Les « diables » de Candide semblent moins menaçants que ceux de Pangloss. On peut entendre dans cette description l’expression « ni queue ni griffe » faire écho à l’expression « ni queue ni tête » qui permet d’insister sur la bêtise des codes observés.

Transition

Si Voltaire s’attache à parodier la cérémonie de l’autodafé, c’est pour mieux dénoncer les responsables. En effet, le philosophe des Lumières s’attaque, avec ironie, à l’obscurantisme et au dogmatisme.

II. L’ironie au service de la dénonciation

A. Critique de l’obscurantisme : Les « sages du pays »

Le début du chapitre six présente la situation dramatique de l’après tremblement de terre. La réponse apportée à une situation dramatique suite à une catastrophe naturelle est d’emblée marquée par l’ironie. On note l’utilisation de la négation « n’avait pas trouvé un moyen plus efficace » qui souligne le fait que les décisions prises ne sont pas adaptées.

De plus, les responsables sont désignés comme étant les « sages du pays » ; cette antiphrase est à mettre en parallèle avec leur décision qui ne semble pas fondée sur la rationalité. Les termes « à petit feu », « secret infaillible » relève du champ lexical de la superstition. Par là, Voltaire veut mettre en lumière la responsabilité de l’Église, fondée sur la déraison.

En outre, on relève de nombreux termes hyperboliques « plus efficace », « ruine totale », « secret infaillible » qui résonnent avec l’hyperbole de la fin du texte « Le même jour, la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable ». Ainsi la vacuité des superstitions de l’Église est démontrée ici.

Enfin, la capacité à imposer un point de vue basé sur des décisions arbitraires est souligné par l’oxymore « bel autodafé » : l’Église est capable de faire croire qu’une exécution, une mise à mort peut avoir quelque chose de positif.

B. Critique du dogmatisme : Jugement arbitraire

Voltaire poursuit la critique de l’Église en mettant le doigt sur des pratiques ridicules, injustes et arbitraires. En effet, les crimes commis par les condamnés sont disproportionnés par rapport à la sentence.

On relève trois types de crimes : le Bisacayen va à l’encontre des règles de l’Église, puisqu’il a épousé la marraine de son filleul, mariage interdit par l’Église de l’époque. Les deux portugais sont condamnés car ils sont d’une autre confession, ils sont probablement juifs puisqu’on sait qu’historiquement l’Inquisition a beaucoup combattu cette confession. Voltaire réduit leur crime à ce qui paraît le plus superficiel : avoir mangé du porc. Enfin, Candide et Pangloss sont condamnés pour avoir exprimé une opinion différente de l’Église, étant donné qu’ils représentent dans ce chapitre la pensée philosophique.

De plus, l’utilisation du lien logique « en conséquence » met en évidence l’absurdité des condamnations puisqu’il rapproche « secret infaillible » de la liste des accusations. Le participe passé « convaincu » souligne également le fait que les condamnations ne sont certainement pas basées sur des faits avérés et solides.

Les condamnations sont expéditives et basées sur des suppositions. En témoigne d’ailleurs l’absence de référence à un quelconque jugement : les occurrences « on avait saisi [les prisonniers] » et « on vient lier après le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide » prouvent en effet que les accusés n’ont pas été jugés. L’emploi du « on » indéfini souligne l’absence de réel responsable et le complément circonstanciel de temps « après le dîner » est le seul élément du texte faisant référence à un possible jugement. Autrement dit, « les sages du pays » jugent, de façon arbitraire et sans respect, les hommes qui vont être sacrifiés : c’est en mangeant qu’on décide de la vie ou de la mort des condamnés.

Conclusion

Dans le chapitre six, Voltaire dénonce l’obscurantisme et la violence d’une société arbitraire. Dans cet extrait, les accusés n’ont pas de nom : le Biscayen, les deux Portugais apparaissent de façon fugace dans le conte pour servir la cause du philosophe. Cela permet également de rendre le message plus universel : les victimes sont ceux qui, même de façon tout à fait bénigne (une entorse aux lois de l’Eglise, la pratique d’une autre religion), n’obéissent pas au doigt et à l’œil à la pensée totalitaire dénoncée ici.

Quand à Candide, il survit et Pangloss échappe au bûcher. Le personnage de Candide va donc poursuivre son chemin. Pour le personnage éponyme, les aventures du chapitre six sont l’occasion d’une remise en question des préceptes inculqués par le philosophe Pangloss. Au fil des péripéties qui l’attendent, il remettra peu à peu en cause la pensée de son maître, pour arriver à une nouvelle définition de l’optimisme au chapitre 18 : « c’est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal ».

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