Lecture analytique du chapitre 1 de Candide, Voltaire, 1759

candide

Pour les philosophes des Lumières, la littérature est une arme de combat mise au service de valeurs qu’il faut défendre. Pour combattre l’ignorance, les injustices et défendre l’égalité, l’écrivain du siècle des Lumières exerce son esprit critique dans le but de faire évoluer la société.

Dans Candide, Voltaire choisit le conte philosophique. En effet, l’argumentation doit instruire le lecteur tout en sachant lui plaire. Le conte philosophique remplit cette double fonction en mettant en scène un contexte et des personnages hérités du conte merveilleux (brièveté, refus de la vraisemblance, personnages réduits à un trait de caractère et en utilisant les registres littéraires (satirique, polémique,ironique et parfois même registre pathétique) propices à appuyer la dénonciation.

Dans le premier chapitre de Candide on peut se demander comment Voltaire met sa plume au service d’une dénonciation de la société de l’Ancien Régime*, dominée par une noblesse qui n’est plus légitime et par une philosophie trop dogmatique (= trop étroite d’esprit.).

* Ancien Régime : désigne la période de l’histoire de France désignant les deux siècles antérieurs à la Révolution française ?

 

Autres problématiques envisageables :

Comment fonctionne la stratégie argumentative dans le premier chapitre de cet apologue ?

En quoi cet incipit est-il original ?

En quoi peut-on dire que cet incipit est à la fois traditionnel et atypique ?

Comment la critique de Voltaire est-elle mise en place dans ce premier chapitre ?

En quoi cet extrait est-il le début d’un conte satirique ?

Comment et dans quel but les procédés du conte traditionnel sont-ils détournés ?

I. L’incipit du conte : le paradis des origines

A. L’appartenance au conte merveilleux

Le premier chapitre de Candide permet de renseigner le lecteur sur la situation initiale, les lieux, l’époque, les personnages et certains des thèmes qui seront développés dans l’œuvre.

La fonction informative du chapitre est donc centrale dans cet extrait. On y découvre le cadre spatio-temporel et les personnages.

Le cadre spatio-temporel renvoie au conte merveilleux, notamment grâce à la tournure impersonnelle des premiers mots du conte « Il y avait en Vestphalie » qui fait clairement écho à la formulation traditionnelle du « Il était une fois ». Le lieu où se déroule l’action, un château, ainsi que son nom auxrésonnances gutturales « Thunder-ten-tronckh » soulignent également l’appartenance à l’univers du conte.

Le récit n’est pas inscrit dans un temps défini, mais l’emploi d’un pronom démonstratif ancien dans le titre du chapitre « Comme Candide fut élevé dans un beau château, et comment il fut chassé d’iceuli » inscrit l’histoire dans un passé lointain tout comme l’emploi de l’imparfait, temps du récit passé.

De plus, la présentation, personnage par personnage, des habitants du château participe également du conte merveilleux. En effet, chaque personnage est décrit de façon très rapide. En ce qui concerne la baronne, sa fille et son fils, une seule phrase les décrit. Pour la baronne et Cunégonde, le portrait se réduit à des caractéristiques physiques, comme c’est souvent le cas dans le conte merveilleux. Seul le portrait de Candide allie portrait physique et portrait moral : « Sa physionomie annonçait son âme » ce qui souligne la caractéristique principale du personnage éponyme : sa candeur, sa naïveté.

B. Le rapprochement avec la Genèse

En plus de faire explicitement référence au conte merveilleux, le premier chapitre de Candide évoque également le paradis. Il est bien question d’un paradis aux yeux de Candide, les termes mélioratifs qui sont nombreux en attestent : le « meilleur des mondes possibles », « bon et honnête », « admirablement », « extrêmement belle », « bonheur »…

Il s’agit donc d’une sorte d’Eden dans lequel le personnage principal grandit avant d’en être chassé, comme en témoigne le groupe participial des premiers mots du chapitre deuxième « Candide, chassé du paradis terrestre ».

En effet, si Adam et Eve sont chassés du paradis après avoir goûté au fruit défendu de l’arbre de la science du Bien et du Mal, dans la Genèse, la découverte de la sensualité entre Candide et Cunégonde (visible à la fin du chapitre par l’enchaînement rapide des verbes : « elle lui prit innocemment la main ; le jeune homme baisa innocemment la main de la jeune demoiselle (…) : leur bouche se rencontrèrent, leurs yeux s’enflammèrent, leurs genoux tremblèrent, leurs mains s’égarèrent ») va jouer un rôle important : le petit paradis est bouleversé. La situation initiale laisse place aux péripéties qui vont véritablement commencer.

Candide se retrouve « chass[é] (…) du château à grands coups de pied dans le derrière ». En ceci, il s’agit bien des codes du conte, le schéma narratif est clair : situation initiale bouleversée par l’élément perturbateur, péripéties, élément de résolution, situation finale.

Transition

Si le cadre traditionnel du conte est en partie respecté, il est pourtant dépassé par la satire que Voltaire fait de cet univers qui n’apparaît pas si « merveilleux » que cela.

II. Satire de la société féodale : l’aristocratie ridiculisée

A. La famille du baron, des personnages grotesques

Les personnages sont décrits de façon très laconique. Voltaire souligne à chaque fois un trait de caractère qui rend le personnage ridicule.

Ainsi, la description de la baronne se cantonne à son surpoids comme en témoigne l’utilisation du lien de causalité « par là » qui crée le grotesque du personnage : « Madame la baronne, qui pesait environ trois cent cinquante livres, s’attirait par là une très grande considération ». De plus, sont associés à l’idée de sa forte corpulence (environ 110 kg) les mots « honneurs », « dignité » et « respectable » qui accentuent le décalage.

Cunégonde, quant à elle, est réduite à son apparence physique, les adjectifs employés pour la décrire pourraient aussi bien décrire un aliment : « fraîche, grasse, appétissante ». Le fils du baron n’est, pour sa part, même pas décrit : « Le fils du baron paraissait en tout digne de son père ». Cette façon de présenter le personnage force également le ridicule car Voltaire insiste sur son insignifiance.

B. Le baron : impuissance et fatuité

Le personnage du baron occupe une plus grande place dans le premier chapitre. La description du personnage s’effectue par ce qu’il possède, par les apparences. Ainsi, Voltaire semble se moquer de toute une classe sociale puisqu’il le définit dans un premier temps comme étant « un des plus puissants seigneurs de la Vestphalie » avant que de montrer, grâce à l’utilisation de l’article indéfini, la médiocrité, la pauvreté de son petit univers : « son château avait une porte (…). Sa grande salle même était ornée d’une tapisserie ». Par déduction, on peut donc comprendre que Voltaire émet une critique à l’encontre de toute l’aristocratie.

De plus, la baronnie est décrite en quelques lignes seulement grâce à une énumération qui met en avant les éléments et les personnes qui constituent la cour du baron : « les chiens », « les palefreniers » et « le vicaire ». A chaque référence est associée une remarque qui déprécie la présentation qui en est faite. Ainsi, si « les chiens » font référence à la chasse, une activité noble et qui est généralement signe de puissance ou de richesse, ils sont ici décrits comme étant « une meute dans le besoin ». Autrement dit, les chiens meurent de faim. Les palefreniers, quant à eux, simples domestiques qui s’occupent des chevaux ont charge de « piqueurs », autrement dit, dans la baronnie les domestiques jouent le rôle des cavaliers. Enfin, le « vicaire du village », simple curé de campagne, est décrit comme étant « son grand-aumônier », qui normalement désigne le prêtre attaché à la cour du roi. Ainsi on voit bien que la puissance de la baronnie repose sur le paraître et la fatuité du baron.

C. Coutumes hypocrites

Voltaire ne s’arrête pas à la simple mise en scène d’une baronnie de pacotille. Il s’attaque également à montrer que les coutumes de l’aristocratie sont autant hypocrites que dépassées.

En effet, les origines de Candide sont évoquées dès le premier paragraphe du chapitre : « Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu’il était le fils de la sœur de monsieur le baron et d’un bon et honnête gentilhomme du voisinage ». On comprend donc que les rumeurs affirment que Candide est un fils naturel. Ceci n’empêche pas le baron de chasser Candide de son château à la fin du chapitre.

De plus, Voltaire ironise sur les traditions strictes et désuètes de l’aristocratie en grossissant le ridicule concernant les origines troubles de Candide : « il n’avait pu prouver que soixante et onze quartiers », soit plus de six générations. L’hérédité semble plus importante que les qualités humaines « bon et honnête gentilhomme ».

Enfin, la supériorité du baron sur ses sujets n’est pas légitime bien qu’à l’origine la noblesse se doive de protéger les habitants du domaine. Dans le chapitre premier de Candide, l’aristocratie est parodiée : au titre respectueux de « Monseigneur » désignation respectueuse et traditionnelle est associée « ils riaient quand il faisait des contes », phrase qui clôture le paragraphe présentant un baron ridicule et bouffon, mettant en valeur l’absence de réelles qualités associées à son rang.

Transition

Après avoir dressé un portrait qui prête à sourire tout en désignant clairement certaines coutumes et manières ridicules de l’aristocratie, Voltaire s’attaque à la philosophie qui s’épanouie entre imposture et dogmatisme.

III. Satire de la philosophie de l’optimisme

A. Pangloss, l’incarnation du ridicule

Le personnage de Pangloss occupe une grande partie de l’incipit du conte. En effet, s’il est évoqué de façon expéditive comme les autres personnages qui peuplent ce petit univers, « Le précepteur Pangloss était l’oracle de la maison », Voltaire revient plus longuement sur le personnage pour dresser une vive critique du philosophe, qui sera développée tout au long du conte.

Le personnage de Pangloss est présenté en deux temps, par son raisonnement, dans un premier temps, puis par la façon qu’il a d’appliquer ses préceptes.

Voltaire dépeint un personnage d’une grande suffisance, en témoignent les matières qu’il enseigne : « la métaphysico-théologo-cosmolonigologie ». On comprend donc que le philosophe se targue d’être spécialiste de nombreuses disciplines complexes que sont la métaphysique (autrement dit la science qui cherche à comprendre et expliquer les causes de l’existence), la théologie (étude des religions), la cosmologie (étude de la nature et de l’évolution de l’univers) et la nigologie. Ce néologisme créé par Voltaire à partir du mot nigaud souligne donc très clairement la bêtise profonde de Pangloss et de son attitude. De plus, il est intéressant de noter que Voltaire, dans d’autres écrits, associe souvent le terme de « métaphysique » au goût excessif que certains philosophes de son siècle ont pour des réflexions trop abstraites qui entraînent l’obscurité de la pensée.

B. Pangloss, l’incarnation de l’imposture intellectuelle

Ainsi l’imposture intellectuelle du personnage de Pangloss est-elle clairement présentée. Le champ lexical proprement philosophique est utilisé à des fins détournées : « il n’y a point d’effet sans cause ». Ce vocabulaire sera d’ailleurs très souvent utilisé au long du conte et ce, de façon toujours déplacée, afin de créer la distance comique et ironique nécessaire.

Voltaire insiste en effet sur le ridicule du personnage en donnant à entendre le raisonnement du philosophe par le biais du discours direct. Les marqueurs du raisonnement philosophique sont là : « car tout étant (…) tout est nécessaire », « aussi », « par conséquent ». On note également la présence du vocabulaire de la démonstration « prouvait », « il est démontré », « ce qui ont avancé que ».

Les références hyperboliques rendent le discours ridicule « le meilleur des mondes possibles », « le plus beau des châteaux », « la meilleure des baronnie possible », « la meilleure fin ». De plus, l’absurdité du raisonnement (le raisonnement est pris à l’envers : « les nez ont été faits pour porter des lunettes ; aussi avons-nous des lunettes », etc.) montre à quel point la science de Pangloss est au service du mensonge : en effet, son vocabulaire pompeux et son raisonnement faussement logique sont au service du baron qui n’est autre que celui qui l’emploie comme précepteur. La philosophie de Pangloss n’est rien d’autre que de la flatterie utilisée à des fins opportunistes.

Enfin, le personnage de Pangloss est évoqué dans les « broussailles », donnant « une leçon de physique expérimentale à la femme de chambre », grivoiserie qui achève de détruire toute forme de crédibilité.

C. Candide, archétype du naïf

Le personnage de Candide pêche par excès de naïveté. Ainsi dès les premières lignes du conte, Voltaire donne le ton : « Il avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple ». L’emploi du superlatif est ici un indice : Candide porte trop bien son nom, c’est un garçon d’une trop grande simplicité, autrement dit, sa naïveté lui fait frôler la bêtise.

En effet, il écoute avec une confiance aveugle son précepteur « Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge et de son caractère ». A nouveau, par l’outil de coordination « et », l’auteur insiste sur le caractère benêt du personnage éponyme.

Enfin, la naïveté du personnage s’applique pour tout ce qui l’entoure comme en témoignent les deux verbes associés aux deux adverbes : « Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment ». La fausse rigueur philosophique de Pangloss déteint entièrement sur le personnage. Le raisonnement creux en quatre points : « il concluait qu’après (…), le second degré de bonheur (…), le troisième (…) ; et le quatrième (…) » montre combien l’univers de Candide se réduit au très étroit univers de vie et de pensée que l’incipit de ce chapitre donne à voir.

Conclusion

Le premier chapitre de Candideremplit les fonctions de l’incipit en présentant le cadre, les personnages et certains des enjeux majeurs de l’œuvre. Au seuil de l’ouvrage est donné à entendre le ton très satirique utilisé par Voltaire. Mais la dénonciation, si elle est efficace, n’est pourtant pas encore féroce.

Pourtant, au long des trente chapitres qui constituent le cheminement du personnage éponyme, l’auteur n’aura de cesse de dénoncer l’obscurantisme, les comportements scandaleux de certains milieux ou l’injustice criante de certaines situations. Le personnage de Candide, ingénu au plus haut point, sera amené au gré des péripéties à remettre en question la philosophie de l’optimisme.

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